"A quoi sert un Etat palestinien sans souveraineté palestinienne?"
Elle demande cette reconnaissance à l'ONU parce qu'elle a l'impression que tout ce qui a été entrepris jusqu'à présent, a échoué. Les négociations sont au point mort depuis plus de 10 ans, et la tentative de construire un Etat "par le bas", qui a été la ligne du gouvernement Fayyad, a en grande partie échoué.
L'idée qui sous-tendait cette doctrine originale était celle-ci: malgré la persistance de l'occupation, on construit des infrastructures qui deviennent de facto "un Etat" que la communauté internationale peut ensuite reconnaître comme tel. Ce n'est pas la fin de l'occupation qui permet l'établissement de l'Etat, mais l'établissement de l'Etat qui met fin à l'occupation. Mais l'Etat, même de facto, n'existe toujours pas.
Il ne reste plus que l'ONU. Cet échec a en effet fait naître le besoin d'une démarche supplémentaire, qui consiste à s'adresser aux Nations Unies pour acquérir une légitimité au niveau international en tant que représentant d'un Etat. Conscients de la virtualité de l'Etat palestinien, les responsables palestiniens ont l'impression que cette démarche donnerait du poids à leurs arguments.
Effectivement, c'est une initiative de la dernière chance pour une Autorité palestinienne qui avait tout misé sur le pari de la solution à deux Etats, négociée sous le patronage des Etats-Unis. En demandant cette reconnaissance, elle essaie peut-être de ranimer une perspective qui est de plus en plus contestée, notamment chez les Palestiniens eux-mêmes, en raison de la disparition des bases matérielles de l'Etat avec la poursuite de la colonisation, et l'intransigeance israélienne sur les questions essentielles. On observe également une déconnexion entre la direction palestinienne, obsédée par les négociations, et la population, qui cherche à résister à l'occupation ou à ses effets.
Les représentants de l'Autorité palestinienne sont pris dans des contradictions vivaces depuis la signature des accords d'Oslo, en 1993-94. Ils avaient fait le pari de construire l'Etat palestinien dans le cadre d'un processus négocié sur la durée avec l'Etat d'Israël, espérant prouver qu'on pouvait leur confier la gestion définitive de l'ensemble des territoires palestiniens. Mais ce projet est un échec.
L'Autorité palestinienne a été prise à son propre jeu. Au début, même elle ne pensait pas aller jusqu'au bout de la démarche à l'ONU. J'ai épluché quelques câbles Wikileaks qui sont sortis ces derniers jours. Y figurent notamment des déclarations d'un responsable palestinien, Saëb Erekat, qui garantissait il y a un et demi à des représentants américains, qu'ils n'iraient pas jusqu'au bout et qu'ils s'arrêteraient dès lors que les négociations reprendraient. Sauf que les négociations n'ont pas repris.
Je pense qu'une partie de l'Autorité palestinienne espérait que les bouleversements en cours dans la région contraindraient les Etats-Unis à être moins suivistes vis-à-vis d'Israël. Mais le pari était très hasardeux. L'OLP a fait le même pari pendant plus de trente ans, à savoir croire au rôle d'arbitre des Etats-Unis entre Israël et les Palestiniens. Or les Etats-Unis ne peuvent pas être arbitre, ils sont l'entraîneur de l'une des deux équipes. Israël demeure leur principal allié dans la région.
Le veto annoncé des Etats-Unis serait sûrement très mal vécu dans le monde arabe. Une position qui instaure déjà un malaise au sein de l'administration américaine. Il est donc certain que des discussions ont lieu en ce moment entre les Etats-Unis et les Palestiniens pour les dissuader d'aller jusqu'au bout. Dans tous les cas, la Palestine ne sera pas membre des Nations Unies.
Le principal enjeu de la Palestine, c'est la souveraineté, politique et territoriale. Elle peut toujours être reconnue par 191 Etats, mais elle n'est pas souveraine. Une partie de son territoire est toujours occupée par Israël, et le fait d'être un "Etat" ne réglera pas la question des réfugiés ou des Palestiniens discriminés en Israël.
Ce qui pourrait faire bouger les lignes, ce sont effectivement les mouvements amorcés dans le monde arabe, qui peuvent conduire à un isolement d'Israël sur la scène régionale. Dès lors que les peuples arabes ont la possibilité de faire pression sur leurs gouvernements, la question palestinienne se régionalise à nouveau et peut redevenir une cause arabe. On en est cependant très loin. Mais la mobilisation des Egyptiens après l'attaque d'Eilat le 18 août dernier a certainement dissuadé Israël de s'attaquer plus durement à la bande de Gaza. Les incidents à l'ambassade d'Egypte au Caire sont le dernier révélateur des changements en cours: certains régimes arabes ne peuvent plus museler la contestation.