Gaza: Hollande reprend à son compte le récit israélien (Médiapart)

Publié le par revolution arabe

hollande-birzeit.jpg

*

Le dernier com­mu­niqué de l’Élysée montre un pré­sident français aligné sur la position israé­lienne, alors que l’on compte 76 vic­times depuis quatre jours, toutes pales­ti­niennes. « François Hol­lande me donne raison », n’a pas manqué de sou­ligner le premier ministre israélien Benyamin Neta­nyahou. « C’est sidérant, un véri­table appel à la ven­geance », juge le député PS Pouria Amirshahi.


Le com­mu­niqué de l’Élysée est tombé mer­credi soir, à 2027 : « Le pré­sident de la Répu­blique a eu ce soir un entretien télé­pho­nique avec le premier ministre israélien, Benyamin Neta­nyahou. Il lui a exprimé la soli­darité de la France face aux tirs de roquettes en pro­ve­nance de Gaza. Il lui a rappelé que la France condamne fer­mement ces agres­sions. Il appar­tient au gou­ver­nement israélien de prendre toutes les mesures pour pro­téger sa popu­lation face aux menaces. Le pré­sident de la Répu­blique rap­pelle la nécessité de pré­venir l’escalade des violences. »


Pas un mot pour les vic­times civiles, toutes pales­ti­niennes, des bom­bar­de­ments israé­liens, contrai­rement à la tribune publiée par Barack Obama dans le quo­tidien israélien Haaretz, appelant l’armée israé­lienne à la retenue. « Il appar­tient au gou­ver­nement israélien de prendre toutes les mesures pour pro­téger sa popu­lation face aux menaces », écrit l’Élysée. Ces mesures incluent-​​elles le bom­bar­dement d’un café à Khan Younes mer­credi soir où, selon l’agence de presse pales­ti­nienne Ma’an news, 8 Pales­ti­niens, tous tués sur le coup, s’étaient ras­semblés pour assister à la demi-​​finale de la coupe du monde de football ?


Sur le terrain, la situation a encore empiré ce jeudi. Selon les sources médi­cales pales­ti­niennes, au moins vingt-​​cinq per­sonnes ont été tuées dans plu­sieurs raids israé­liens sur la bande de Gaza, portant à 76 le nombre de vic­times au troi­sième jour de l’opération mili­taire israé­lienne « bordure pro­tec­trice » (ou « haie de pro­tection »). Les roquettes tirées depuis Gaza ont, elles, atteint depuis lundi les régions de Jéru­salem, Tel-​​Aviv, Haïfa, ainsi que la région de Dimona (sud) où Israël a une cen­trale nucléaire, sans tou­tefois faire de victime.


Jeudi, l’utilisation poli­tique du com­mu­niqué de l’Élysée ne s’est pas fait attendre. « Le pré­sident français François Hol­lande m’a donné raison et a même publié un com­mu­niqué condamnant les tirs de roquette », a ainsi déclaré le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou.


En France, le com­mu­niqué de l’Élysée n’est pas non plus passé inaperçu. Dans un texte publié jeudi, le parti Europe Écologie-​​les Verts estime de son côté que « non, toutes les mesures ne sont pas bonnes à prendre pour pro­téger sa popu­lation et non, les raids aériens non ciblés ne pro­tègent pas du ter­ro­risme à long terme. Le pré­sident de la Répu­blique fran­çaise a témoigné son entière soli­darité envers Benyamin Neta­nyahou et apporté son soutien à la poli­tique de repré­sailles menée par Israël, laquelle frappe aveu­glément les popu­la­tions civiles pales­ti­niennes. (…) Il est de la res­pon­sa­bilité de la com­mu­nauté inter­na­tionale de faire cesser l’escalade meur­trière. EELV rap­pelle sa soli­darité sans faille avec les popu­la­tions civiles menacées et son soutien résolu à tous les acteurs qui œuvrent pour la paix ».


Contredit par le terrain, utilisé par l’exécutif israélien, le com­mu­niqué de l’Élysée constitue-​​t-​​il une faute diplo­ma­tique ? Directeur de recherche au Ceri Sciences-​​Po, Alain Dieckhoff tempère quelque peu : « C’est un com­mu­niqué comme la pré­si­dence de la Répu­blique peut en faire régu­liè­rement, quand il y a un évé­nement inter­na­tional, juge ce cher­cheur spé­cia­liste d’Israël. Ce n’est pas de l’analyse, c’est du très court terme. Si la situation se dégradait, je pense que l’on aurait un com­mu­niqué d’une teneur un peu dif­fé­rente. Cela ne change rien aux posi­tions de base de la France sur le dossier, qui est la recherche d’une solution à deux États, sur la base de négo­cia­tions. Il ne faut pas surinterpréter. »


Député des Français de l’étranger pour la zone Maghreb/​Moyen-​​Orient, Pouria Amir­shahi n’est pas de cet avis : « C’est le pré­sident de la Répu­blique tout de même, bien sûr que cela brouille la ligne poli­tique de notre pays sur le conflit, affirme l’élu PS, joint ce mer­credi, et qui a par ailleurs publié un com­mu­niqué pour dénoncer celui de l’Élysée. Ce com­mu­niqué est tout sim­plement sidérant. Qu’on m’explique où est l’esprit des Lumières lorsqu’on encourage des per­sonnes à la ven­geance, par tous les moyens pos­sibles.

 

Pour quel motif est-​​il ainsi permis de se faire le soutien d’un premier ministre ultra­con­ser­vateur, pour ne pas dire plus ? Ce com­mu­niqué est la marque d’un grand renon­cement à la tra­dition fran­çaise d’équilibre, fondée sur le droit et la raison. Pour tout vous dire, j’ai eu du mal à y croire. » Comment le député socia­liste explique-​​t-​​il la publi­cation de ce com­mu­niqué ? « Je ne me l’explique pas, et je relis mal­heu­reu­sement trop de décla­ra­tions dés­équi­li­brées. La der­nière visite de François Hol­lande en Israël (lire ici notre reportage ) – avec cette fameuse séquence chez Benyamin Neta­nyahou où il avait fait une décla­ration d’amitié per­son­nelle aux diri­geants israé­liens qui aujourd’hui, il faut le dire, sont des cri­minels et sont impliqués dans la mort de civils pales­ti­niens – m’avait déjà sidéré. C’est une lente dérive, motivée visi­blement par une conviction pro­fonde chez François Hol­lande. C’est bien ce qui m’inquiète. »


Mardi 8 juillet 2014, le com­mu­niqué du bureau national du Parti socia­liste appelait quant à lui « l’ensemble des parties à rouvrir le dia­logue pour arrêter immé­dia­tement la spirale de la vio­lence », et « demand(ait) à la com­mu­nauté inter­na­tionale de se mobi­liser et de tout faire pour arrêter un nouveau conflit meurtrier ».


Priver d’eau et d’électricité les habitants de Gaza

Plus encore que l’absence de condam­nation et de soli­darité envers les vic­times civiles, le com­mu­niqué de l’Élysée montre à quel point les diplo­maties euro­péennes ont adopté le récit israélien. La chan­ce­lière alle­mande, Angela Merkel, a elle aussi condamné « sans réserve » les tirs de roquette sur Israël au cours d’une conver­sation télé­pho­nique avec le premier ministre israélien, sans pour autant dénoncer les frappes israé­liennes ni les vic­times civiles pales­ti­niennes. Des États comme les Pays-​​Bas, ou même l’Allemagne, avaient pourtant pris peu à peu leurs dis­tances avec la poli­tique israé­lienne, notamment sur la question des pro­duits fabriqués dans les colonies (lire notre enquête : Israël s’inquiète du boycott international).


Sur l’offensive « bordure pro­tec­trice », ces « condam­na­tions » de Hol­lande et Merkel épousent par­fai­tement le dis­cours de l’ambassadeur israélien Ron Prosor, qui affirme de son côté que « le Hamas a déclenché ce conflit et ne nous laisse pas le choix », tout en sou­li­gnant que l’armée israé­lienne « uti­lisait des frappes pré­cises pour éviter de tuer des civils ». Para­doxa­lement, Paris et Berlin se trouvent davantage impliqués que les États-​​Unis. Plus mesurée, la diplo­matie amé­ri­caine « cherche », certes, « les moyens de mettre fin aux tirs de roquette » lancées à partir de Gaza par le Hamas contre Israël, a estimé le porte-​​parole du dépar­tement d’État, Jen­nifer Psaki. Mais dans une tribune au quo­tidien israélien Haaretz, Barack Obama a exhorté Israé­liens et Pales­ti­niens, tout en réaf­firmant son soutien à Israël, à faire preuve de retenue. « En cette période de danger, chaque partie impliquée doit pro­téger les inno­cents et agir de manière rai­son­nable et mesurée, pas par ven­geance ni repré­sailles », écrit le pré­sident amé­ricain. « Les deux camps doivent être prêts à prendre des risques en faveur de la paix. (…) La seule solution est un État juif démo­cra­tique, vivant en paix et en sécurité côte à côte avec un État pales­tinien indé­pendant et viable. »


Cette manière pour Hol­lande et Merkel d’embrasser le récit israélien constitue un parfait contresens avec la réalité des faits. Depuis lundi, tous les efforts de l’armée et du gou­ver­nement israé­liens consistent à bâtir une légi­timité pour leur offensive mili­taire, et pour cela à faire endosser par la com­mu­nauté inter­na­tionale leur version des faits, qui pré­sente le Hamas comme l’agresseur et déclen­cheur de cette guerre.


La réalité est bien plus com­plexe, pour trois raisons. À la suite de l’enlèvement le 20 juin des trois ado­les­cents israé­liens en Cis­jor­danie, véri­table élément déclen­cheur de la séquence dans laquelle le Proche-​​Orient est plongé aujourd’hui, le gou­ver­nement israélien a immé­dia­tement rendu res­pon­sable le Hamas, sans apporter de preuve concrète. Celui-​​ci a pourtant nié son impli­cation et n’a objec­ti­vement aucun intérêt à ces enlèvements.

Le Hamas n’a pas non plus reven­diqué les pre­miers tirs de roquette, qui sont selon ses diri­geants le fait des groupes radicaux qu’ils ne contrôlent pas, et qui se sont ins­tallés dans une logique de concur­rence pour désta­bi­liser en interne le Hamas au profit d’organisations comme le Djihad isla­mique, qui a reven­diqué le premier tir de roquette tombé lundi près de Tel Aviv. Débordé par la radi­calité de ces groupes, le Hamas a par la suite fait le choix de frapper Israël, et inten­sifié ses tirs de roquette à mesure que Tsahal frappait ses militants.


Depuis 2005 et son retrait de Gaza, Israël n’a cessé d’assiéger ce ter­ri­toire pales­tinien, privant 1,8 million d’habitants des pro­duits de pre­mière nécessité, et réduisant son éco­nomie à une pré­carité constante et dépen­dante de tunnels dont 80 % ont été fermés depuis 2013. En 2014, les res­tric­tions éco­no­miques ont atteint un tel point que le chômage est, selon l’agence de presse pales­ti­nienne, passé de 28 à 40 % de la popu­lation. Cette poli­tique israé­lienne d’asphyxie touche direc­tement les civils pales­ti­niens, au quo­tidien, et contribue à la radi­ca­li­sation et à la popu­larité des groupes armés, au détriment du pro­cessus de négo­ciation politique.


En prenant parti pour Israël, l’Élysée nie tout sim­plement la situation de siège dans laquelle se trouvent les Pales­ti­niens, et fait peser sur eux et sur le Hamas l’entière res­pon­sa­bilité du conflit, sans mettre Israël face à ces contra­dic­tions. Une position dan­ge­reuse, qui ren­force Israël sur le plan inter­na­tional au moment où il en a le plus besoin, et accentue un peu plus l’asymétrie d’un conflit dont la solution ne peut pourtant être que poli­tique. C’est notamment tout le sens des efforts du pré­sident de l’Autorité pales­ti­nienne, Mahmoud Abbas, auprès du pré­sident Sissi pour obtenir une médiation égyp­tienne (comme en 2012 lors de l’opération israé­lienne Pilier de défense), que le com­mu­niqué de l’Élysée aurait eu beau jeu d’encourager et de sou­tenir. Le pré­sident de l’Autorité pales­ti­nienne a par ailleurs affirmé mer­credi qu’il avait échangé avec les diri­geants du Hamas qui seraient « inté­ressés par un cessez-​​le-​​feu », rap­porte le quo­tidien israélien Haaretz.


Jeudi, le ministre des affaires étran­gères, Avigdor Liberman, et le directeur du comité de défense, Ze’ev Elkin, ont proposé qu’Israël « coupe l’eau et l’électricité » de la bande de Gaza. « Nous ne pouvons pas faire ce que les Russes ont fait aux Tchét­chènes », a com­menté en retour le premier ministre israélien, tout en affirmant qu’un cessez-​​le-​​feu n’était pas à l’ordre du jour (Israël a déjà privé Gaza d’électricité en maintes occa­sions, comme nous le racon­tions notamment dans ce reportage, un an après l’opération Plomb durci).


En quoi les posi­tions de François Hol­lande ont-​​elles autant ren­forcé la confiance de l’exécutif israélien ? Comment le com­mu­niqué de l’Élysée déterminera-​​t-​​il la position de la France dans les négo­cia­tions à venir ? « Nous assistons depuis quelques semaines à une escalade de vio­lence au Proche-​​Orient dont l’horreur et les consé­quences sur les civils ne sau­raient être tolérées, a estimé jeudi après-​​midi le député PS de Seine-​​Saint-​​Denis, Razzi Hammadi, dans un com­mu­niqué. Cette position doit être défendue par la France lors de la réunion d’urgence du conseil de sécurité de l’ONU. »


Ce jeudi à 20 h, le conseil de sécurité de l’ONU devait en effet se réunir à la demande des Pales­ti­niens et de la Ligue arabe. La séance consistera en un exposé public de la situation par le secré­taire général de l’ONU Ban Ki-​​moon, suivi de consul­ta­tions à huis clos entre les 15 pays membres du conseil. « Gaza est sur le fil du rasoir », avait affirmé Ban Ki-​​Moon mer­credi soir en évo­quant le risque que la situation « échappe à tout contrôle ». Le secré­taire général a invité, lui, le premier ministre Benyamin Neta­nyahu à faire preuve « du maximum de retenue » et a dénoncé « les pertes civiles crois­santes à Gaza ».

 

Pierre Puchot, Mediapart, vendredi 11 juillet 2014

 

http://www.france-palestine.org/Gaza-Hollande-reprend-a-son-compte

 

Commentaire: Il est bien question de retirer toute humanité aux palestinines voir: lien

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article