“Le processus de paix est devenu l’ennemi majeur des droits de l’homme” (Afps)
Michael Sfard, avocat spécialiste des droits de l’homme, conseiller juridique et co-fondateur de “Yesh Din” (= “Il y a une loi”) - Volontaires pour les Droit de l’Homme- de la façon de plaider les affaires majeures de droits de l’homme, passées et en instance, et du “prix fort à payer” quand on plaide pour les droits des Palestiniens à l’intérieur du système juridique israélien.
Dans l’attente de voir les Palestiniens et les Israéliens reprendre les négociations dans les prochains jours, la plupart des gens parlent des chances des pourparlers de paix de réussir ou d’échouer et des détails des thèmes qui sont sur la table des négociations. Assis en face d’une petite bibliothèque juridique dans son bureau de juriste de style Bauhaus à Tel Aviv, l’avocat Michael Sfard a quelque chose d’autre en tête. Le processus de paix, dit-il, a historiquement eu des conséquences négatives sur les droits de l’homme dans les territoires occupés.
“Tandis que se tiennent les négociations, Israël fait tout accepter. L’accaparement des terres, l’extension des colonies, même (l’Opération) Plomb Durci a été mise en oeuvre tandis qu’il y avait des négociations de paix.”
Quand le monde concentre son attention sur le processus de paix, explique-t-il, il est beaucoup moins attentif aux victimes palestiniennes et aux plaintes des organisations des droits de l’homme et de la société civile.
Pendant la dernière décennie, ou les deux dernières, “le processus de paix est devenu un des ennemis majeurs des droits de l’homme” continue Sfard et “aucun processus de paix ne sera fructueux si les gens souffrent sur le terrain.”
Avec une équipe de cinq avocats, Sfard représente l’organisation des droits de l’homme, Yesh Din, dont il a été le co-fondateur en 2005,en conjonction avec une armée d’autres ONG, d’individus ou de groupes, allant de l’ONG Breaking the Silence (= Brisant le Silence) et l’objecteur de conscience Natan Blanc, aux habitants de villages palestiniens comme celui de Bil’in, qui s’est battu et a gagné pour obtenir que le tracé de la barrière de séparation soit déplacé pour passer autour, plutôt qu’à travers le village.
Né à Jérusalem, Sfard, 41 ans, a étudié le droit à l’Université hébraïque et à l’University College de Londres. Depuis qu’il est devenu avocat en 1999, il s’est spécialisé dans les droits de l’homme et dans les affaires de droits fonciers des Palestiniens, d’abord comme stagiaire en droit et depuis près d’une décennie dans son propre cabinet.
Les droits de l’homme dans les Territoires Palestiniens Occupés sont-ils mieux ou moins protégés aujourd’hui par rapport à 2005, lorsque Yesh Din a été fondée ?
En 2005, c’était encore la seconde Intifada. J’espère que les gens ne sont en général pas aussi malheureux qu’ils ne l’étaient alors en Cisjordanie. Il y a un type de violation des droits de l’homme qui se produit pendant des hostilités armées ouvertes, comme en 2004, quand nous avons commencé à parler de la création de Yesh Din, différent du type de violation des droits de l’homme dans les moments de calme relatif. Nous sommes prêts à faire des choses qui étaient impensables, assurément en 1967, mais aussi dans les années 1970. Aujourd’hui nous nous sommes habitués à des déplacements de grande ampleur, à des vols de terres, et à une violence presque institutionnelle contre les Palestiniens. Le bilan de l’occupation, en terme de droits de l’homme, s’aggrave.
En termes juridiques, quelle question de droits de l’homme vous inquiète le plus actuellement et pourquoi ?
C’est que nous ayons installé un système juridique double en Cisjordanie. Le problème ici n’est pas seulement celui de la discrimination légale institutionnelle qui est fondée sur la nationalité et qui vise à autoriser la domination sur un groupe. Le fait que nous ayons créé cette atrocité juridique, un monstre, et que nous vivions paisiblement avec l’idée que les Juifs et les Palestiniens sont soumis à des lois différentes, c’est quelque chose qui m’empêche de dormir la nuit. La Haute Cour de Justice a récemment ordonné la réouverture de l’enquête relative au tir des FDI (= Forces de Défense Israéliennes) sur Tristan Anderson en 2009, fondée sur une requête au tribunal déposée par Yesh Din.
Quels étaient les problèmes dans l’enquête de police initiale ?
Ceci est une affaire que j’ai plaidée en même temps que l’avocat Emily Schaeffer. Le cas de Tristan est un bon exemple de la façon dont les enquêtes sont menées dans l’intention de dire qu’Israël a ouvert une enquête et non pas en réalité dans l’intention de découvrir ce qui s’est passé et de savoir s’il y a a quelqu’un qui est légalement responsable. Quand nous avons reçu le dossier nous avons tout de suite découvert que l’équipe chargée de l’enquête n’avait interrogé qu’un groupe de policiers et pas celui qui vraisemblablement a tiré sur Tristan.
Si Tristan était un jeune Juif de Jérusalem, je ne pense pas que j’aurais eu besoin de déposer une requête devant la Haute Cour afin de convaincre les autorités d’élargir le champ de l’enquête. Le fait qu’il soit un militant pacifiste américain, le fait qu’il soit quelqu’un qui lutte au coude à coude avec les Palestiniens, qui sont vus comme nos ennemis, tout à la fois tout cela a eu pour résultat une enquête défectueuse et non-professionnelle.
Quelles stratégies ont été les plus efficaces pour tenir les autorités israéliennes pour responsables dans les TPO et pour combattre pour la protection des droits de l’homme ?
La démarche juridique a ses forces et ses possibilités, mais aussi ses imperfections. Le plaidoyer public a ses propres avantages et désavantages. Une de mes principales causes a été en faveur du village de Bil’in. Nous avons déposé une requête au tribunal pour déplacer le mur de séparation qui prenait plus de la moitié des terres du village. Les manifestations hebdomadaires à Bil’in sont devenues très célèbres et ont été couronnées d’un large succès, mais je ne pense pas que les manifestations elles-mêmes auraient pu déplacer le mur d’un pouce et je ne pense pas que le seul fait d’aller en procès aurait pu déplacer le mur d’un pouce. La combinaison des deux a fait qu’une telle campagne puissante a pu en fin de compte être couronnée de succès.
Quels aspects de votre métier vous motivent au jour le jour et à long terme ?
Je ne peux pas vivre en Israël et faire autre chose. Cela m’est impossible. J’ai besoin de lutter contre ce que je vois de mauvais et d’injuste. Cela paraît usé, mais c’est ce que je pense réellement. C’est aussi ma conviction profonde que le Judaïsme et les valeurs juives sont insultés. Cela me fait mal de voir, comment au nom du Judaïsme,(se passent) des choses qui sont exactement à l’opposé de tout ce que la tradition juive et la biographie collective défendent pour exister.
Vous demandez-vous si votre travail légitime l’occupation en travaillant pour le changement à l’intérieur du système juridique israélien ?
Il y a un prix fort à payer quand l’on combat les violations des droits de l’homme dans les institutions d’un régime violant sur une grande échelle les droits de l’homme. Vous légitimez les institutions de ce régime. Vous payez le prix quand vous perdez au tribunal parce que vous le rendez casher. Beaucoup de gens doivent dire que si la Cour Suprême dit c’est parfait, c’est parfait. Ils peuvent dormir la nuit.
Vous payez aussi un prix élevé quand vous gagnez parce que vous donnez au régime l’outil puissant de la communication qui dit, regarde, nous avons un système de révision judiciaire et il n’y a aucun arbitraire puisque nous avons des juges qui contrôlent cela. Mais comme avocat des droits de l’homme, je ne peux pas manquer d’égards à la personne. Si un Palestinien vient me dire, “Ils vont arracher mon oliveraie, sil vous plaît, aidez-moi”, je ne peux pas lui dire, regarde, il y a une plus grande image.
Quel est le plus grand défi qu’affronte Yesh Din et son équipe juridique en mettant leur mission en avant ?
Quand nous allons au tribunal, notre défi est d’aller au-delà du récit sécuritaire et de faire voir aux juges l’angoisse humaine qui est derrière les pratiques et la politique que nous contestons. C’est un défi que les avocats relèvent en face des juges et Yesh Din en face du public israélien.
Quelle a été la plus grande victoire juridique de votre carrière ?
Si vous l’évaluez selon le changement actuel apporté à la vie des gens, alors je dirais mes dossiers concernant le mur. Ce sont des cas où je peux vous montrer des oliviers qui sont maintenant cultivés par des gens qui ne le pouvaient pas avant. C’est quelque chose qui peut être mesuré en mètres carrés de terres et en litres d’huile d’olive. En même temps, des cas comme celui de Migron ont eu un énorme impact sur le débat public en Israël, sur ce que les colonies font aux Palestiniens et sur la légalité et l’immoralité de l’entreprise coloniale.
Y a-t-il un espace à l’intérieur des droits de l’homme à l’échelle internationale pour quelque sorte d’intervention internationale en Israël/Palestine, juridique ou d’une autre nature ?
Le conflit israélo-palestinien n’est pas une affaire interne israélienne. La communauté internationale n’a pas seulement le droit, mais, à certaines conditions, l’obligation d’intervenir dans les conflits internationaux créés par la violation à grande échelle des droits de l’homme. Le fait que la violence des colons continue en toute impunité, et surtout sans enquête, crée une obligation pour la communauté internationale de voir ce qu’elle peut faire pour protéger les Palestiniens. Cela ne veut pas dire qu’elle a à envoyer une intervention humanitaire au sens du Chapitre 7 de la Charte des Nations Unies. Mais la communauté internationale doit faire quelque chose à ce sujet.
Cela vaut pour la création de colonies et les vols de terre parce que dans ce cas l’Etat d’Israël est non seulement incapable, mais ne veut pas stopper ces formes de violations. Ce que nous avons vu avec les règlements européens à propos des colonies est le premier degré de l’intervention, en disant, je ne veux pas qu’un seul de mes centimes soit investi dans cette entreprise illégale, qui est une violation des droits humains des Palestiniens.
Qu’est ce que vous espérer que Yesh Din va mener à bien prochainement ?
Aussi longtemps que nous occuperons la Cisjordanie, les autorités israéliennes dicteront à Yesh Din son prochain projet. Cela dépend des nouvelles politiques et pratiques qu’elles feront adopter et en un sens notre travail d’essayer de protéger les droits des Palestiniens dépend du type de politiques qu’Israël est en train d’établir.
Matt Surrusco, samedi 3 août 2013
http://www.france-palestine.org/Le-processus-de-paix-est-devenu-l