Les grandes puissances face aux révolutions arabes : politique libérale et militariste

Publié le par revolution arabe

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Malgré une volonté affichée de rompre avec l’ère Bush de la guerre sans limites, Obama depuis son arrivée au pouvoir mène une politique associant militarisme et libéralisme économique.

La mondialisation sape progressivement les bases de l'hégémonie américaine, propulse de nouvelles grandes puissances comme la Chine, accentue les contradictions dans les relations internationales, déstabilise les vieilles dictatures, appuis et alliés des USA, crée les conditions d'une irruption des peuples qui bouleversent les rapports de forces, rompt les équilibres précaires. La vague de révolutions qui a déferlé sur le monde arabe en est une des illustrations particulièrement démonstrative. Face à elle, les vieilles puissances impérialistes se redéploient pour tenter de garder l'initiative et le contrôle politique, économique et militaire sur la région. Soutien politique aux « transitions démocratiques », crédits financiers du G8-G20 et du FMI, interventions militaires se conjuguent à travers une situation en pleine mutation qui suscite et attise les rivalités, entretient une instabilité permanente, encourage l'irruption des classes opprimées. Un processus est en cours qui redessine les rapports de forces au niveau de cette région du monde et au-delà.
Obama, dans la course à la Maison Blanche, prend la posture de l'homme du moindre mal, du candidat de la paix. Mais sa politique obéit, quant au fond, à d'autres préoccupations que celles de politique intérieure, elle vise à redéfinir la politique inter­nationale de la première puissance mondiale. 

L'appui d'Obama aux révolutions 

 
Obama sait que les USA ne pourront préserver leur domination sur le monde s'il continue dans la même voie que son prédécesseur, Bush. Il lui faut une politique qui sache, sinon gagner l'adhésion des peuples, du moins désarmer les haines semées par la politique de « la guerre sans limites ». C'est le fond de l'orientation déployée depuis son élection, politique qui se heurte constamment à la réalité des faits et des objectifs impérialistes des USA. D'une main, un libéralisme économique qui prend le masque d'un libéralisme politique, la défense d'un nouvel ordre mondial, de la démocratie « des valeurs universelles », de l'autre le militarisme manié avec prudence en affichant la volonté de trouver une issue politique aux guerres engagées. 


Dès le lendemain de son élection, en juin 2009, son discours du Caire adressé aux peuples musulmans visait à donner le signal de la rupture avec la politique du « choc des civilisations » de Bush dans le but d'essayer de donner un minimum de crédit à la politique américaine et, par là-même, de renforcer les régimes en place, ses alliés, dont celui de Moubarak. Ce sont bien les révoltes des peuples qui l'ont obligé, après avoir lâché Ben Ali, à abandonner Moubarak. Pragmatiques, la Maison Blanche et le Pentagone se sont alors faits les champions de « la transition démocratique », tout changer pour que rien ne change, s'appuyer sur l'armée pour assurer l'ordre en canalisant la révolution, en l'étouffant. L'appui aux révolutions, aux aspirations démocratiques des peuples ne les a pas empêchés cependant de taire toute critique vis-à-vis de l'Arabie saoudite et de fermer les yeux sur son intervention au Bahreïn.


Dans le même temps, Obama a tenu à rassurer les classes dominantes américaines et les forces réactionnaires en se faisant l’exécuteur de la politique de Bush, en achevant la chasse à l'homme qui était le pivot de la politique internationale de la première puissance mondiale, par l’exécution sommaire, au Pakistan, de Ben Laden. Il levait ainsi toute ambiguïté quant à ses intentions : afficher un nationalisme qui n'a rien à envier à celui de Bush, s'affirmer comme le champion de la défense des intérêts américains dans le monde sans craindre de déstabiliser encore plus le Pakistan et ses relations avec lui. Certes, l’exécution de Ben Laden était censée clore la période ouverte par l'attentat du 11 septembre 2001, justifiée au nom de la lutte contre le terrorisme pour la démocratie en faveur des peuples arabes. Elle n'en était pas moins la démonstration que les USA et Obama considéraient comme légitime cet acte de vengeance d’État au mépris du droit international.


Leur politique s'adapte, louvoie, accompagne les bouleversements en cours, manie la ruse et la duplicité, cherche à mettre en place de nouveaux régimes alliés pour mieux préserver son influence, contenir celle grandissante en particulier de la Chine. 

La politique de la dette au service de la transition démocratique

 
Le soutien aux aspirations populaires, les discours sur les nécessaires réformes ne suffisent cependant pas à asseoir l'autorité des nouveaux régimes y compris sur les classes bourgeoises locales. Et surtout elles ne suffisent pas à renforcer le contrôle des classes dominantes des vieilles puissances sur l'économie et les richesses produites. Le sommet des chefs d'État du G8, le 28 mai à Deauville, a ainsi décidé une aide internationale à la Tunisie et à l'Égypte d'un montant de 40 milliards d'euros provenant de la Banque mondiale ou de la Banque européenne d'investissement (BEI) mais aussi, pour, dix milliards d'euros, directement des États des pays riches. Le FMI devrait intervenir pour 30 milliards d'euros. Cette aide, contrairement aux intentions déclarées, ne vise pas à répondre aux besoins financiers de la Tunisie ou de l’Égypte mais bien à ouvrir des marchés pour les entreprises américaines, françaises. L'enjeu n'est pas de lutter contre l’extrême pauvreté, le chômage, la précarité mais bien d'accroître l'emprise occidentale sur les pays en augmentant encore leur dette. Plutôt que de nouveaux prêts, la seule réponse démocratique aux difficultés économiques serait de suspendre le paiement de la dette ou de l'annuler. Ce sont des milliards aujourd'hui engloutis pour payer les intérêts aux usuriers qui pourraient être investis de façon socialement utile. De cette aide au « printemps arabe » il n'est pas question. Le libéralisme politique affiché par les grandes puissances n'est qu'un emballage nouveau pour un libéralisme financier qui étrangle les peuples. 

Le tournant de l'intervention en Libye


Et ce libéralisme a pour corollaire le militarisme. L'intervention en Libye constitue une des clés de la politique des grandes puissances. On ne peut certes aujourd'hui anticiper ses possibles développements. Ses propres initiateurs en sont eux-mêmes bien incapables tant leur politique n'a d'autre but que de gérer les rapports de forces. L’intervention de la France et de l’Angleterre, avec les États-Unis dans un premier temps, avec l'aval de l’ONU, prétendait protéger la population. Quatre mois après, le mandat de l’ONU apparaît bel et bien comme un prétexte. L’objectif de l’Otan, et non plus de l’ONU, est devenu l’élimination de Kadhafi et le Conseil national de transition vient d'être reconnu y compris par les USA. Cependant le ministre français de la Défense, Gérard Longuet, a laissé entendre que l'élimination de Kadhafi n'était plus une condition de la fin de la guerre, qu'un règlement politique serait possible... Les justifications évoluent en fonction de l'opinion et des besoins d'une mauvaise cause pour accréditer l'idée que les grandes puissances chercheraient une porte de sortie. Cette confusion exprime les hésitations de ces dernières qui ne peuvent dire brutalement devant l'opinion mondiale leurs réels objectifs. Elles ont saisi l'occasion offerte par la folie de Kadhafi pour ouvrir une porte aux armées impérialistes, commencer à prendre position pour contrôler le pétrole et se donner les moyens d'intervenir plus avant si besoin. C'est bien pourquoi, même s’il était concevable que l’intervention puisse un moment affaiblir Kadhafi et renforcer les insurgés, tout soutien conséquent à la révolte pour les droits démocratiques ne pouvait que condamner l'intervention militaire. Celle-ci est un des dispositifs clés du redéploiement des USA même si ces derniers ont tenu à laisser l'initiative à Sarkozy, empressé de jouer les chefs de guerre flanqué de BHL.

Derrière les discours, l'alignement sur Israël


La volonté d'Obama de définir une nouvelle politique l'obligeait à essayer de donner le change quant à la question palestinienne. Pour reprendre l’initiative dans le monde arabe, il devait faire un geste pour répondre au sentiment de solidarité vis-à-vis du peuple palestinien. C'était le sens de son discours du 19 mai plaidant pour la cohabitation de deux États sur la base des frontières antérieures à la guerre des Six Jours de 1967, avec des échanges de territoires mutuellement consentis. Une déclaration qui a suscité l'hostilité immédiate d'Israël devant laquelle Obama a fait tout aussi immédiatement marche arrière. Et les USA s'opposent à ce que, à l'ONU, en septembre, Mahmoud Abbas demande à l'Assemblée générale la reconnaissance d'un État palestinien. Toutes les pressions sont bonnes pour empêcher ce qu'Israël considérerait comme une provocation. Là encore les faux-semblants d'Obama n'ont pas tenu longtemps. Le soutien à la révolte en Syrie, la condamnation de la dictature d'al-Assad ne lui font pas condamner Israël qui prive tout un peuple de son droit démocratique le plus élémentaire. Et, dans les faits, les discours d'Obama cherchent à masquer une politique alignée sur Israël, place-forte des USA face au monde arabe et à la montée révolutionnaire, à l'Iran. En effet bien qu'Obama condamne aujourd'hui la répression en Syrie – « la répression échouera, les tyrans tomberont » –, il sait que si les verrous de la dictature lâchaient, les effets en seraient difficilement maîtrisables et que Israël est la seule carte sûre qu'il possède dans la région. 

Libéralisme, impérialisme ou démocratie révolutionnaire...


Le libéralisme politique d'Obama ne vise qu'à accentuer un libéralisme économique et financier dont on a pu juger les effets dévastateurs. L'ensemble se combine avec le militarisme, que ce soit dans l'intervention en Libye ou l'appui à Israël. Une telle politique, la seule que les grandes puissances puissent aujourd'hui mettre en œuvre, exacerbe les tensions tant économiques, sociales que politiques. Les classes capitalistes sont incapables d'offrir la moindre perspective démocratique aux peuples, les faits le démontrent chaque jour un peu plus. Les pas en avant réalisés ces derniers mois ont été l’œuvre de la seule intervention directe des populations opprimées. Les rêves et les espoirs qui en sont nés ne pourront se concrétiser qu'en renforçant cette intervention. La démocratie ne pourra venir des manœuvres libérales et impérialistes, de la concurrence et du marché capitaliste, mais bien des révolutions elles-mêmes.


Yvan Lemaitre

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