Vivre en cage à Gaza (cqfd)

Publié le par revolution arabe

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Depuis 7 ans, le blocus israélien a transformé Gaza en un véritable laboratoire, où près de 1,8 million de personnes survivent, sans quasiment pouvoir sortir, dans la pauvreté, le chômage et les pires pénuries. À l’étranglement israélien s’ajoute le blocus égyptien par « mesure sécuritaire », depuis la prise de pouvoir de l’armée égyptienne. Pierre Stam- bul, coprésident de l’Union juive française pour la paix, a pu séjourner fin décembre dans cette cage, via le réseau de soutien international Unadikum.


Le 24 décembre, l’armée israélienne a attaqué la bande de Gaza avec les chars et l’aviation en 15 endroits différents. Un char israélien a pulvérisé à 800 mètres de distance une maison dans un camp de réfugiés. Une dangereuse terroriste, la petite Hala, 3 ans, est morte. Sa mère est ses frères ont été blessé-e-s. À l’hôpital, la famille nous a demandé de filmer et de témoigner. Deux jours auparavant, un autre redoutable terroriste, un chiffonnier qui recyclait les ordures, avait été abattu sans motif par un sniper israélien.

 

En 7 ans de blocus, 150 paysans et des milliers d’animaux qui avaient l’outrecuidance d’approcher de trop près la « barrière de sécurité » – pour reprendre le vocabulaire de l’occupant – ont perdu la vie. « Pourquoi la justice inter- nationale protège-t-elle les criminels de guerre israéliens ? », s’interroge le militant des droits de l’homme Khalil Shaheen. Quand les soldats de Tsahal ne tirent pas sur les paysans, ils visent les pêcheurs : la marine israélienne interdit à ces derniers de s’éloigner à plus de 3 km des côtes. Depuis 4 ans, elle a tué deux pêcheurs, elle en a blessé vingt-quatre et elle en a enlevé 147. Elle a également confisqué 45 bateaux et détruit une centaine d’autres, qui parfois naviguaient à seulement quelques milles de la côte dans l’espace autorisé. Les quelque 4 200 pêcheurs sont réduits à la misère. «  Le droit international permet de cultiver et de pêcher. Israël viole ce droit en disant que c’est contraire à sa sécurité », explique Mohamed al-Bakri, secrétaire général du syndicat des comités de travailleurs agricoles (UAWC) [1].


Comment la pénurie est organisée


Gaza est aussi une terre agricole. La superficie agricole a diminué d’1/3 à 1/5 de la bande en 7 ans. Les Israéliens interdisent la commercialisation des produits et les fraises de Gaza pourrissent sur place. Les paysans survivent avec 1/2 hectare de terre en moyenne. Gaza est autosuffisant en légumes et en poulet, mais tout le reste doit être importé (œufs, viande rouge, poisson). Lors des récentes inondations, 3 000 serres ont été inondées, le blocus israélien empêche leur remplacement.


L’eau à Gaza vient de Cisjordanie par l’aquifère. Les Israéliens ont creusé des puits sur la frontière tous les 100 mètres pour capter cette eau. Résultat, il manque à Gaza 40 % de l’eau nécessaire à son agriculture. La nappe phréatique est envahie par la mer et l’eau, devenue saumâtre, est impropre à la consommation. En Égypte, l’essence est subventionnée et ne coûte que 0,12 euro le litre. Avant que le gouvernement égyptien ne bloque la frontière et ne détruise les tunnels, on trouvait de l’essence à Gaza. À présent, elle vient d’Israël, est rare et hors de prix. Les charrettes remplacent souvent les voitures. Conséquence de cette pénurie de pétrole, il n’y a en moyenne que 6 heures d’électricité par jour. Alors c’est la débrouille : groupes électrogènes et lampes de poche sont indispensables, mais ne garantissent rien.


Dans les hôpitaux, on manque de médicaments, d’hygiène, de médecins qualifiés. Les grands malades essaient de partir à l’étranger, mais sortir n’est pas évident et ça coûte très cher.


Un énorme effort est entrepris pour l’éducation. Il y a très peu d’illettrés. On compte à Gaza 100 000 étudiant-e-s dans cinq universités. Au bout du compte, il y a 35 000 chômeurs diplômés et d’autres qui survivent avec des petits boulots. Le chômage total ou partiel touche 60 % de la population. L’économie a été détruite. « Sans solution politique, on continuera à manquer d’eau, de terre, de médecins, d’éducation et ça va exploser », ajoute Mohamed al-Bakri.


Colère et auto-organisation

Tous nos interlocuteurs-trices disent la même chose : la désunion palestinienne, l’existence de deux gouvernements, deux parlements, deux lois sont pour tous un scandale : « Ils ne pensent qu’à leur propre intérêt  » ; «  Ils ont perdu toute légitimité » ; « Cette désunion est une victoire de l’occupant » ; « Rien ne changera avec Abou Mazen.  » « Il n’y aura pas de troisième Intifada à cause de la division palestinienne, pense Ziad Medoukh, responsable du département de français à l’université al-Aqsa de Gaza. Depuis la mort d’Arafat, il n’y a plus de leadership. La direction à prendre vient de l’extérieur de la société palestinienne et non de l’intérieur. Les deux gouvernements profitent de l’occupation pour garder le pouvoir. Ces deux gouvernements ont perdu toute légitimité. Les deux sont en échec. Mais ils savent que la population ne va pas se révolter contre eux. »


L’impopularité des deux gouvernements est certaine. «  Notre rêve, c’est un seul État. Notre référence, c’est Mandela, [mais] nos dirigeants sont stupides, estime Eyad Al Alam, avocat au Centre palestinien des droits de l’homme (PCHR). Pourquoi n’y a-t-il pas réunification ? Je me fous des relations Fatah-Hamas. On voudrait des élections, mais Israël contrôle tout et ne laissera pas faire.  »


Le PCHR fait partie de ce grand réseau d’associations qui viennent au secours des pauvres et des exclus, et permettent à la population de s’organiser, d’exiger le droit de « vivre comme un être humain normal  ». Le PCHR enquête sur toutes les exactions, même sur les violences interpalestiniennes. Il aide les prisonniers politiques, combat la torture, dénonce l’impunité de l’occupant et la complicité occidentale. Il a fourni aux enquêteurs de l’ONU (Dugard, Falk, Goldstone) une grande aide pour leurs rapports. « Comme palestinien, j’ai été victimisé et maltraité. La Naqba est en moi. Je suis né ici, c’est mon pays. Un Russe obtient la nationalité israélienne et moi, je n’ai rien. La loi vient du pouvoir, pas de la morale. Avec la globalisation, j’ai espoir que les barrières disparaîtront. Pourquoi la communauté internationale accepte-t-elle cette punition collective ? », s’indigne Khalil Shaheen.


Politiquement, il existe une gauche palestinienne, dont le parti le plus important est le FPLP. Ce parti a payé un très lourd tribut dû à son rôle dans la résistance (le secrétaire général Ahmed Saadat a été condamné à la prison à vie et son prédécesseur a été assassiné). Il essaie aujourd’hui de renouveler ses cadres et d’unifier un troisième pôle face au Fatah et au Hamas. Il se concentre aussi sur l’action sociale du FPLP : les jardins d’enfants, les hôpitaux (comme à Jabaliya), les ONG, l’aide aux agriculteurs et aux pêcheurs. Dans son programme, il exige la fin des négociations avec Israël.


Aujourd’hui les accords d’Oslo sont plus que jamais morts. On est passé à une lutte antiapartheid sur un espace unique. L’hypocrisie des discours de la France, de l’Union européenne et des états-Unis renforce l’économie israélienne et le blocus. Avec Ziad Medoukh, la discussion se porte sur le boycott : « La notion est peu développée en Palestine parce que les marchés sont captifs. Il n’y a pas beaucoup de produits israéliens, aucun produit des colonies, mais les Palestiniens n’ont aucune marge de manœuvre. Toutes les formes de solidarité sont les bienvenues. Mais la priorité, c’est de lever un blocus qui dure depuis 7 ans. S’il n’y a pas un mouvement comparable à ce qui s’est fait en Afrique du Sud, ça ne marchera pas. »

 

paru dans CQFD n°118 (janvier 2014) mis en ligne le 19/02/2014 -

Pierre Stambul

 

http://cqfd-journal.org/Vivre-en-cage-a-Gaza

Publié dans Palestine

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