Culture des jeunes : Heavy Metal Islam

Publié le par revolution arabe

9 mars 2011

Du heavy metal dans des pays musulmans ? Oui, cela existe !

 

Mark LeVine, musicien et professeur d’histoire du Moyen Orient à l’université de Californie-Irvine, a voyagé à travers différents pays pour en rencontrer les acteurs. Entre tradition et modernité, répression et Occident, c’est la question de la culture des jeunes de ces pays qui est posée.

 

Si certains films, comme Les Chats Persans de Bahman Ghobadi, avaient fait connaître la présence difficile du rock dans des pays comme l’Iran, on ne se doutait pas de l’ampleur du phénomène. Ainsi le festival Boulevard des jeunes musiciens réunit 20 000 fans de metal à Casablanca ! Mark LeVine part à la rencontre de différents groupes de six pays différents : Maroc, Egypte, Palestine et Isräel, Liban, Iran et Pakistan. Quelques noms de groupes : The Kord (Liban), Hate Suffocation (Egypte), Junoon (Pakistan). [1]

 

Répression et ostracisme


Si leur intensité varie selon les pays, les musiciens et le public endurent tous une répression de la part des gouvernements. Il subissent aussi un certain ostracisme de l’opinion publique, la musique rock et le style metal (cheveux longs, habits noirs, etc.) étant associés au satanisme et à l’influence néfaste du monde occidental. Si ce genre musical parvient parfois à toucher un public large, souvent au prix de partenariats avec des grandes marques, la majorité des artistes vivent leur appartenance au metal comme un rejet aux marges de la société.

 

Mais alors pourquoi un tel intérêt pour ce genre ? Si Mark LeVine s’emballe, c’est parce qu’il partage avec les musiciens et fans de metal la croyance en un véritable pouvoir de la musique. Celui-ci est de fait reconnu par les gouvernements qui interdisent toute forme de musique rock, voyant en elle une menace pour la société. La plupart des musiciens recourent à la musique pour répondre aux difficultés qu’ils-elles vivent, marquées par la guerre, le marasme économique ou les normes sociales et religieuses oppressantes. La musique devient alors un moyen de faire sens, de rassembler différentes personnes, d’informer, voire de changer les consciences. Un musicien palestinien déclare ainsi : « Si une de mes paroles arrive jusqu’à ton cœur, cela aura bien plus d’impact que cent pierres jetées à ton visage ».

 

Bourgeoisie et Occident


Le sens de la posture metal dépend également du contexte. Là où ce genre est totalement interdit, en jouer représente une provocation, l’affirmation de sa liberté individuelle. Dans le metal de ces pays, ne serait-ce que dans les paroles, les illustrations ou les rythmes, il y a une présence forte de la violence. Mais Mark LeVine y voit, avec l’approbation des musicien-nes, une représentation critique – car monstrueuse – d’une violence réelle, une forme d’appropriation de la situation.

 

Que tant de jeunes écoutent du metal et l’affichent publiquement dans des pays où un tel comportement est au mieux mal vu, au pire réprimé sévèrement, est en soi le signe d’une révolte face aux carcans imposés par des gouvernements autoritaires. Néanmoins, une telle position demeure assez peu politique, car elle se borne à affirmer l’autonomie personnelle contre l’Etat. Ainsi de nombreux musiciens décrivent le metal comme « un asile » et affirment que « leur vie entière est intérieure ».

 

Cette individualisation se retrouve dans leur rapport à l’islam. Ceux-celles qui ont subi une forte répression cherchent seulement à éviter tout rapport avec la religion, tandis que les autres se bornent à affirmer que l’on peut très bien être musulman et metaleux à la fois. Malgré le titre de son livre, Mark LeVine ne réussit pas vraiment à explorer les liens entre metal et Islam, se bornant à interroger des représentants d’institutions musulmanes minoritaires, plus tolérant vis-à-vis de la musique.

 

Quelle musique après la révolution ?


En plus d’autres aspects problématiques du metal, notamment sa dimension machiste, ce genre musical souffre véritablement de cette propension à se replier sur soi, à l’exception de quelques groupes attaquant directement le pouvoir en place dans leurs chansons. Cette attitude de repli est typique de la jeunesse privilégiée, base sociale du metal dans ces pays. On ressent un certain malaise à force de suivre l’auteur, parti prétendument à la rencontre de la jeunesse musulmane, enchainer les bistrots branchés de quartiers lisses, et de voir que la grande majorité des musiciens ont fait des études à l’étranger et sont souvent issus de l’élite.

 

De fait, les instruments nécessaires étant chers, le metal est difficilement accessible. C’est bien là le problème : malgré quelques festivals, en quoi les jeunes metaleux sont-ils représentatifs de la jeunesse, de son rapport à la modernisation et à l’islam ? Dès le départ, cette réflexion semble de plus biaisée. Prendre le metal comme sujet, c’est envisager les pays musulmans avec une optique de retard. Ces derniers se moderniseraient de façon similaire aux pays occidentaux mais avec vingt ans de retard.

 

Alors, après la révolution, quelle musique pour la jeunesse de Tunisie, d’Egypte ou de Lybie ? On ne sait pas s’il faut souhaiter que ce soit du heavy metal, cette musique restant une réponse noire, une affirmation d’identité dans une situation de forte répression à travers la mise en avant d’images violentes en opposition à la culture officielle. Au temps de la révolution, on ne peut que souhaiter voir naître de nouveaux genres et prospérer des genres plus sociaux comme le rap, et pourquoi pas une pop de la révolution.

 

Pierre Raboud


Notes

[1] Mark LeVine, Heavy Metal Islam, Three Rivers Press, New York, 2008.

* A paraître en Suisse dans solidaritéS, n° 184.

Publié dans Culture

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