Syrie : « Les dangers de la liquidation de Zeino Berri » (Essf)

Publié le par revolution arabe

syrie
2 août 2012

Les scènes de l’exécution [le 31 juillet 2012] du chef de clan aleppin Zeino Berri (décrit comme l’un des chefs des « Comités populaires » [1] dans les médias loyalistes) ont créé une polémique inédite par son ampleur et sa franchise, liée au débat capital entre pacifisme et lutte armée : quels sont les critères légaux, politiques, moraux, et même nationaux, concernant la militarisation de la révolution ? Quelles sont les règles qui garantissent leur application ?


Certains se sont réjouis et ont fêté l’exécution de Zeino Berri du fait de son implication, lui et ses comparses, dans les trafics d’armes, de drogue et alors qu’il piétinait les lois à Alep et sa région depuis des années. Il apparaît qu’il a eu, avec les milices, un rôle sinistre à Alep dans la répression de toutes les manifestations de l’opposition au régime.


D’autres ont campé sur une position plus modérée et n’ont pas remis en cause l’exécution elle-même, mais plutôt le processus de l’application de la sentence. A l’inverse, d’autres se sont opposés à cette exécution et certains l’ont condamnée, malgré le fait que Zeino Berri ait été un des chefs des chabiha et qu’il ait été un cauchemar tapi dans le cœur de la plupart des aleppins.


Beaucoup de débats s’articulent autour de cette exécution, certains concernant le principe même de l’exécution, sans tenir compte du lieu, de l’époque, ni des circonstances.


Un autre débat concerne le comportement de l’Armée syrienne libre (ASL) en général et plus précisément les conséquences politiques et médiatiques de certains de ses agissements. Par ailleurs, la discussion au sein de la révolution syrienne concernant l’option armée et la lutte pacifique reste inhérente au déroulement de la révolution.

Tous ces débats se caractérisent, dans l’ambiance tendue et violente actuelle, par des échanges de propos parfois extrêmement durs, dureté blessante, bien que naturelle face à ce que vivent et subissent les Syriens.

Personnellement, faisant abstraction des caractéristiques du personnage et de ses crimes, je me désole de voir la mort d’une personne [Z. Berri] devenir le sujet d’un débat.

 

Mais je constate également que celui qui mène une guerre contre son peuple place ce type de sujet au cœur de la vie quotidienne de milliers de Syriens. Au final, le despote est le responsable moral de ce qui se passe en Syrie, ceci sans pour autant disculper ou innocenter ceux qui ont sali leurs mains de sang, et particulièrement quand ils l’ont fait au nom de la révolution, de la liberté et de la dignité du peuple syrien. La chute du tyran [Bachar el-Assad] est devenue depuis des années une nécessité nationale et humanitaire.


Rien n’est simple dans les révolutions et, assurément, juger et prendre position par rapport à ce genre d’agissements constitue l’effort intellectuel et moral le plus difficile.


Comment peut-on juger sans sophisme ceux qui mènent une lutte à la vie à la mort ? Et avoir un jugement de valeur correct dans de telles conditions immorales ? Les principes moraux peuvent-ils devenir circonstanciels et relatifs ? Quelles sont alors ces circonstances ?

 

Et qui peut alors être reconnu apte, ou compétent, pour les déterminer ? Quel sens donner à la haute moralité et quelle devient sa valeur réelle sous le feu, les bombardements et la mort ?


Et inversement, où fixer la frontière entre prise en compte des circonstances et dissimulation de l’erreur et du crime ?

Quelle est la légitimité de la condamnation d’un acte commis par une partie si nous ignorons délibérément celui commis par la partie adverse, même si ces deux parties ne peuvent en rien être mises sur le même pied ?

Les questionnements sont sans fin et laissent perplexe : faut-il y répondre ou se sentir coupable d’avoir le luxe de disposer du temps et de la sécurité pour y avoir seulement songé ?


Ce qui s’est passé le 31 juillet avec Zeino Berri, et avec d’autres avant lui, est typiquement un comportement anthropologique. Les humains sont foncièrement ainsi : ils se mettent en colère, se vengent, s’efforcent d’éliminer leurs ennemis et particulièrement leurs ennemis existentiels.


Les révolutions sont aussi cela, même celles que les romantiques citent avec emphase et admiration.

Imaginez-vous un rapport de Human Rights Watch sur la Révolution française ? Combien de collaborateurs nazis la résistance française a-t-elle liquidés ? Combien d’hommes de la 5e colonne ont été troués par les balles des exécutions pendant la guerre civile espagnole ? Combien de soldats de Batista [dictateur cubain] et de paysans boliviens ont été exécutés par Guevara et ses camarades ? Mais aussi… le cadavre de Mussolini suspendu à un croc de boucher ; Ceausescu abattu après un semblant de procès…


Non, ceci n’est pas une justification mais a pour but de rappeler à certains, particulièrement orgueilleux, de s’interroger sur leur légitimité à réclamer de la part des révolutionnaires syriens d’être au-dessus des réactions humaines et de l’histoire de l’humanité. D’ailleurs qui pourrait s’arroger ce droit ?


Abstraction faite de la valeur morale ou légale de l’exécution de Berri, ou même de toutes autres exécutions ou liquidations, ce qui est arrivé hier n’a pas été en faveur de la révolution, ni sur le plan médiatique, ni sur le plan politique. Les scènes [vidéos] ont montré encore une fois les régiments de l’Armée libre comme des unités non disciplinées, disposant à leur guise de leurs prisonniers.


Certains diront que mes propos sont un coup d’épée dans l’eau, ou sont des propos pointilleux et hautains envers les révolutionnaires, et que cela ne changera pas l’impact négatif de ces actes sur l’image de la révolution syrienne de par le monde.


La bonne cause a besoin d’images exprimant sa valeur. Aux yeux de beaucoup, dont certains sont des étrangers, qu’ils aient pris position ou non pour la révolution, l’image de ces centaines de balles qui ont abattu ces trois corps adossés au mur d’une école n’en fait certes pas partie.


Il est probable que l’absence de structure politique dirigeante claire auprès des unités de l’Armée libre soit un des facteurs qui rendent difficiles ces prises de position. Car c’est le rôle d’une telle structure d’organiser les mesures à prendre dans ce type de circonstances (la création d’une commission de la légalité militaire par exemple ?) de manière à garantir une ligne de conduite de l’armée, et ainsi son image, tout d’abord auprès du peuple syrien, puis devant le monde.


En tant qu’observateurs, nous n’avons pas le pouvoir de décision. Et tous ceux qui se disputent l’entrée dans un pitoyable gouvernement de transition non plus… Malgré tout, la question mérite d’être posée.

 


Notes

[1] « Comités de quartiers » créés par le régime Assad pour combattre les dits « terroristes » de l’opposition.

* Cette contribution est parue, en langue arabe, sur le site Al Joumhourieh, en date du 2 août 2012 ; traduit de l’arabe en français pour le site A l’Encontre par Jihane Al Ali. Paru sur A l’encontre le 7 août. http://alencontre.org/moyenorient/s...

 

http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article26077

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P
Camarade le fait que "l'armée libre Syrienne"sois soutenue et financé par l’Arabie Saoudite et le Quatar modèle de démocratie...pays ou les droits de l’homme sans parler de ceux des femmes sont<br /> notoirement respecté...ça ne te gêne pas? sans parler du soutiens des USA par l’intermédiaire de la CIA à la "révolution "Syrienne ça ne te pose pas problème...?
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