Avec Ilan Halévi, nous venons de perdre un ami de toujours (Afps)

Publié le par revolution arabe


Avec Ilan Halévi, nous venons de perdre un ami de tou­jours, com­battant infa­ti­gable de la cause pales­ti­nienne, militant pré­cieux et emblé­ma­tique du refus des assi­gna­tions et caté­go­ri­sa­tions racistes.

 

Né en France sous l’occupation, c’est dans la lutte qu’il est devenu pales­tinien, lui qui se reven­di­quait « à 100% juif et à 100% pales­tinien ». Long­temps repré­sentant de l’OLP auprès de l’Internationale socia­liste, membre de la délé­gation pales­ti­nienne aux négo­cia­tions de Madrid et Washington, il fut vice ministre des affaires étran­gères de l’Autorité pales­ti­nienne et membre du Comité exé­cutif du Fatah.


C’était pour l’AFPS un ami fidèle. Invité régulier des groupes locaux et habitué de nos uni­ver­sités d’été, il avait l’an dernier à Pau, une fois encore bluffé les par­ti­ci­pants par sa vivacité intel­lec­tuelle qui contrastait si fort avec ses dif­fi­cultés motrices.


Dans sa « Lettre de Ramallah, Face à la guerre » en 2003, il rap­pelait que « la seule alter­native globale à la guerre est un système inter­na­tional de droit et de régu­lation efficace, doté de moyens pour faire res­pecter ses prin­cipes, ses lois et ses résolutions ». C’est notre conviction très profonde.


A sa famille, à l’OLP, au peuple pales­tinien tout entier nous adressons nos plus sin­cères condo­léances. Qu’ils sachent que son combat pour la Palestine, son combat pour le droit et la justice, aujourd’hui nous les pour­suivons. Avec la ténacité qui était la sienne.


Le beau portrait qu’en faisait Christophe Ayad en septembre 2003


Oxy­moron : « Figure qui consiste à allier deux mots de sens incom­pa­tibles pour leur donner plus de force expressive. Exemple : une douce vio­lence. » Autre exemple : juif de natio­nalité pales­ti­nienne ou Pales­tinien d’origine juive, ce qui ne revient pas au même. Ilan Halévy, vice-​​ministre adjoint des Affaires étran­gères du gou­ver­nement démis­sion­naire de Mahmoud Abbas, est bien un oxy­moron. CQFD. Mais, contrai­rement à ce que ce nom grinçant pourrait laisser croire, sur­vient un homme petit et jovial, agile de corps et d’esprit, les yeux aux aguets, le teint de là-​​bas et l’allure d’ici, séduisant sans être beau. En scrutant son visage à la recherche d’un indice, on se dit qu’il a cette chance rare d’avoir l’air du coin où qu’il soit. Il parle cou­ramment le français, l’arabe, l’hébreu, l’anglais, l’italien et l’espagnol.


Ilan Halévy est donc un diplomate pales­tinien portant un nom juif et se déplaçant avec un pas­seport français (« Les Israé­liens ont refusé que j’aie un pas­seport pales­tinien. ») D’autres y voient un inex­tri­cable écheveau de contra­dic­tions, lui pas. Dans un conflit étouffé par les haines eth­niques et confes­sion­nelles, où l’identité est un tatouage mortel, Ilan Halévy veut continuer de croire que l’homme ne se résume pas à son ADN ni à sa tribu. Il y a long­temps déjà, il s’est choisi pales­tinien. Il rabroue ceux qui veulent voir en lui le symbole d’un avenir pos­sible en commun. Ilan Halévy n’est pas israélien, il est pales­tinien, juif certes, mais pales­tinien. Jusqu’à sa façon de parler en français, lorsque la voix reste sus­pendue en fin de phrase, à la manière des Cis­jor­da­niens.

 

Jamais, il ne se sou­vient avoir eu droit à une remarque déso­bli­geante en Palestine, ce qui n’a pas tou­jours été le cas ailleurs dans le monde arabe. Un jour, une secré­taire lui fait remarquer à Ramallah : « Ton nom est comme celui d’un juif. ¬ C’est parce que je suis juif, a-​​t-​​il répondu. ¬ Mais tu as l’air arabe. ¬ C’est parce que je suis arabe. ¬ Et alors qu’est-ce que ça fait d’être moitié-​​moitié, l’interroge-t-elle avec com­mi­sé­ration. ¬ Je suis à 100 % juif et à 100 % arabe. »


Quelle est la part juive alors ? « Comme l’a dit un jour Maxime Rodinson, je suis "juif à divers titres". Ce qui ras­semble les juifs, c’est le fait d’appartenir à une com­mu­nauté définie néga­ti­vement de l’extérieur. » « L’antisémitisme, c’est le socia­lisme des imbé­ciles », a-​​t-​​il coutume de citer, lui qui est né en 1943 à Lyon dans un bureau de poste qui servait de planque à la Résis­tance.

 

« L’ostracisme, la caté­go­ri­sation, c’est ce qu’ont tou­jours fait les anti­sé­mites et les reli­gieux. Pour moi, être juif c’est refuser tout statut à part. Je réclame le droit commun. » Ses parents, juifs résis­tants et com­mu­nistes, étaient déjà vis­cé­ra­lement laïcs. « Il faut remonter à mon grand-​​père pour trouver un rabbin. Je sais que mon par­cours intrigue. La curiosité qu’il suscite n’est pas très saine. » Comme Malraux, il pense que la vie privée est un « misé­rable petits tas de secrets ». Tout ce qu’on saura c’est qu’il a eu cinq enfants, dis­persés un peu partout sur la planète, et dont l’aîné, Laurent, musicien, est mort l’année der­nière, laissant une blessure qui ne se referme pas.


Lorsqu’il est de passage à Paris, Ilan Halévy donne rendez-​​vous au café en face de chez lui, tou­jours le même, tou­jours à la même place, au fond de la salle avec un oeil sur la porte d’entrée. Il a gardé de vieilles habi­tudes de révo­lu­tion­naire pro­fes­sionnel, le sens de l’humour et de la fête en plus. « On ne connaît pas Ilan si on ne l’a pas vu danser », raconte une amie. Musicien de jazz à 16 ans, puis jour­na­liste à la radio malienne en pleine fièvre post­in­dé­pen­dance, c’est dans l’Algérie de Ben Bella qu’il découvre la cause palestinienne.


En 1966, il se rend pour la pre­mière fois en Israël, non pas pour faire son aliya (la « montée » synonyme pour les juifs d’installation sur la Terre sainte) mais pour le com­battre de l’intérieur. Il mettra dix ans à com­prendre « que toute volonté de détruire Israël ne fait que le ren­forcer ». A com­prendre surtout qu’Israël est une véri­table nation, pas une simple création colo­niale. Ins­tallé à Nahlaot, « un des rares quar­tiers de Jéru­salem où l’on n’habite pas une maison volée », il tente de « s’établir » en tra­vaillant comme docker, typo­graphe, etc. tout en militant au Matzpen, un grou­puscule d’extrême gauche anti­sio­niste. Il tra­vaille un temps comme jour­na­liste ¬ à Libé­ration ¬, conçoit le jour­na­lisme comme un pro­lon­gement de son combat.


A son retour à Paris en 1976, il par­ticipe aux pre­miers contacts entre l’OLP et l’extrême gauche israé­lienne. D’interlocuteur, il devient com­pagnon de route et finit par être adopté par la famille OLP : l’évolution s’est faite toute seule. Ilan Halévy est un vrai homme d’appareil, un de ces rouages invi­sibles qui font tourner les partis. Et le parti, c’est Yasser Arafat. Il a pour le « raïs » une affection quasi filiale. Il assume tout, même les désac­cords : l’alignement sur l’Irak pendant la guerre du Golfe de 1991 (« trau­ma­tisant »), les négo­cia­tions secrètes d’Oslo et l’accord bâclé, l’autocratie, la cor­ruption, la mili­ta­ri­sation de l’Intifada…


Tout comme Arafat et son entourage, Ilan Halévy vit dans un autre âge, comme s’il n’avait pas compris que les règles du jeu ont radi­ca­lement changé depuis le 11 sep­tembre 2001. Alors qu’Arafat est au bord de l’expulsion, Ilan Halévy épilogue sur les byzan­ti­neries de la Moqataa. « Entre Abou Mazen et Arafat, c’était un peu comme entre Rocard et Mit­terrand, ni meilleur, ni pire. » Il doit tout à Arafat : c’est lui qui l’a nommé repré­sentant de l’OLP à la Com­mission des droits de l’homme de l’ONU et à l’Internationale socia­liste. « Quand nous croi­sions des Israé­liens, ils deve­naient hys­té­riques. J’étais un traître, un collabo. » Il est fier lorsqu’un res­pon­sable israélien l’apostrophe ainsi : « Vous, les Palestiniens… »


Parfois, le décou­ra­gement perce la carapace du militant : « Pendant trente ans, l’OLP a déployé des trésors de patience pour dis­tinguer les juifs, des Israé­liens et des sio­nistes. Et main­tenant… » Main­tenant, la jeu­nesse pales­ti­nienne pense qu’un Israélien est un tan­kiste et que tous les juifs sont des colons. Il y a de quoi pleurer. Ilan Halévy juge les attentats-​​suicides « immoraux et poli­ti­quement nui­sibles ». « C’est une régression ter­rible, mais quand on vit là-​​bas, on com­prend très bien pourquoi cela arrive. C’est de la ven­detta : "Vous tuez nos femmes et enfants, nous aussi !" S’attaquer à des civils est cri­minel, mais résister à une armée d’occupation et à des colons armés est non seulement légitime mais reconnu par le droit inter­na­tional. » En avril 2002, pendant l’opération Rempart, son immeuble a été saccagé en son absence par des soldats israé­liens. Puis, les chebabs du camp pales­tinien voisin sont venus piller ce qui restait. « Quand j’étais enfant, la guerre était simple, tout était noir ou blanc. » .


Ilan Halévy en 12 dates

1943 : Naissance à Lyon, dans la clandestinité.

1959 : Musicien de jazz.

1962 : Journaliste à la radio nationale malienne.

1964 : Séjour en Algérie.

1966 : Installation en Israël, où il milite dans l’extrême gauche antisioniste.

1974 : Correspondant de « Libération ».

1977 : Premier séjour à Beyrouth pour rencontrer l’OLP.

1983 : Repré­sente l’OLP auprès de la Com­mission de l’ONU pour les droits de l’homme. Allers-​​retours avec Tunis, siège de l’OLP.

1991 : Participe à la conférence de Madrid.

1996 : S’installe à Ramallah.

2000 : Début de la deuxième Intifada.

2003 : Publie « Lettre de Ramallah » (Sindbad-​​Actes Sud), vice-​​ministre adjoint des Affaires étran­gères dans le gou­ver­nement démis­sion­naire de Mahmoud Abbas.

 

AFPS, mercredi 10 juillet 2013

 

http://www.france-palestine.org/Avec-Ilan-Halevi-nous-venons-de


Publié dans Palestine

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