L’autonomie kurde en Syrie prend forme malgré le rejet du gouvernement et de l’opposition (Avanti.be)

Publié le par revolution arabe

Manuel Martorell 3 mars 2013

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Pour la première fois dans l’histoire de la République arabe de Syrie, et profitant du vide de pouvoir provoqué par la guerre, un groupe de travail a délimité le territoire d’une hypothétique région autonome kurde dans ce pays.
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Une chose totalement impensable il y a seulement deux ans vu que le régime baathiste a toujours nié l’existence d’autres peuples distincts du peuple arabe. Tant sous le gouvernement de Hafez Al-Assad que sous celui de son fils Bachar, le seul fait de parler de la culture, de la langue ou même de la musique kurde était une raison suffisante pour être arrêté, torturé et condamné à la prison.


C’est pour cette raison que l’on n’a jamais su avec exactitude ni l’extension du territoire habitée par ce peuple ni le nombre de Kurdes qui vivent en Syrie et que l’on a publié des chiffres et des cartes du « Kurdistan occidental » pour tous les goûts. Aujourd’hui, le Centre Consultatif des Etudes juridiques, également connu par ses sigles YASA, a élaboré une carte qui signale, localité par localité, les pourcentages de population kurde.


De cette étude on déduit que le Kurdistan syrien va du fleuve Tigre, qui sert de frontière naturelle avec le Kurdistan irakien, jusqu’aux Monts Kurdes (Kurd Dag), une zone très montagneuse qui communique avec la Méditerranée au travers de la province turque d’Hatay. Ce territoire est limité au nord par la frontière avec la Turquie, tracée par le Traité de Lausanne (1923) et qui suit la ligne du chemin de fer Istanbul-Bagdad. Ce n’est qu’en deux points que la continuité de la population kurde dans cette longue bande territoriale est remise en question et, par conséquent, la cohésion géographique d’une future entité autonome.


Le premier est la zone qui de Ras al Ain – en kurde, Sere Kaniye – jusqu’à Kobani, où existent d’importants noyaux de population arabe autour des localités de Jarij e Tir, Hamam, Turkman, Ain Isa et Quntary. L’autre va du fleuve Euphrate à Kurd Dag, où existe une forte présence turcomane, surtout dans les zones de Zayadiye, Choman Bei, Sandi et Bab Lemun.


Outre les Arabes et les Turcs, la population kurde a également cohabité pendant des siècles, bien que pas toujours sans problèmes, avec des Assyriens, des Arméniens et des Circassiens. On constate également une grande diversité religieuse : musulmans sunnites, alévis, soufis et ismaélites, chrétiens assyriens et arméniens (tous deux orthodoxes), chaldéens (catholiques) et même des Yézidis, d’orientation zoroastrienne. Il faut souligner dans ce sens les nombreuses populations chrétiennes autour de la ville de Hasaka et tout au long des corridors qui la font communiquer avec Qamisli y Sere Kaniye (Ras al Ain).


Quand, au début du mois de janvier, le centre d’études YASA a diffusé le résultat de son travail, l’un de ses membres, Jian Badrajan, a réfuté d’avoir forcé le trait de cette continuité territoriale puisque ces déséquilibres démographiques se doivent aux politiques d’arabisation forcée appliquées par le régime du Baath. C’est fut particulièrement le cas avec la dénommée « Ceinture arabe », un programme élaboré pour créer de nouvelles « coopératives socialistes » en installant des familles originaires d’autres parties de la Syrie tandis que la population locale était forcée à émigrer.

Au total, on estime à quelques trois millions les Kurdes qui vivent en Syrie, y compris ceux qui, pour divers motifs, se sont déplacés vers les grandes métropoles, comme Alep, où vivent plus de 500.000 kurdes concentrés dans les quartiers de Cheik Massoud et Asrafiye. Ce calcul élève considérablement le chiffre estimé jusqu’à aujourd’hui et qui réduisait le nombre de cette minorité à deux millions d’habitants.


Il convient de signaler que cette étude territoriale et démographique représente une bombe à retardement par rapport à l’avenir politique de la Syrie puisque la région concernée est l’une des plus riches du pays. Par exemple, il y a la zone de Yazira, le « grenier à blé de la Syrie », la zone d’oliveraies (Kurd Dag) d’où provient la quasi-totalité de l’huile d’olive produite dans le pays ; il y a enfin les principaux puits pétrolifères (Hasaka et Derik).

Les organisations kurdes n’ont pas perdu de temps, particulièrement le PYD (Parti de l’Unité Démocratique, lié au PKK de Turquie) qui, sous la direction de Saleh Muslim, s’est transformé en la principale force de l’auto-gouvernement kurde. Profitant du vide de pouvoir, ils ont créé de nouveaux conseils municipaux et des comités de secteurs qui se chargent de la distribution des aliments et des combustibles, ont mis en marche des cours de Kurde dans les écoles et ont introduit l’apprentissage en langue maternelle dans les écoles, tandis que les Unités de Défense Populaire (YPG) fonctionnent déjà comme une véritable armée et ont même été jusqu’à ouvrir une académie pour former la Police kurde (Asayish).


Tout indique que les organisations kurdes accepteront difficilement, du moins pas sans résistance, le retour en arrière par rapport à leur autonomie acquise.

 

Or, cette dernière est considérée comme le premier pas de la sécession et de la fragmentation du pays, et cela non seulement par le régime de Damas mais aussi par la majeure partie des groupes de l’opposition.


Les craintes des autres Etats, comme la Turquie et l’Iran, est encore plus grande puisqu’ils ont de graves problèmes avec leurs minorités kurdes respectives. L’établissement d’une telle autonomie, ensemble avec celle qui s’est consolidée en Irak, rendrait tôt ou tard inévitable l’instauration d’un système politique similaire dans ces Etats. Facteurs aggravants pour ces Etats : en comptant sur une autonomie en Syrie, le Kurdistan se verrait pratiquement garantir un accès à la Méditerranée et ne devrait plus dépendre, comme aujourd’hui, de la Turquie pour ses transactions commerciales ou ses communications terrestres avec l’Europe et, par conséquent, avec le reste du monde.


Pour toutes ces raisons, le Kurdistan syrien est en train de subir depuis plusieurs mois un triple blocus économique : par le gouvernement central qui, à l’évidence, n’accepte pas les nouvelles autorités locales ; par des groupes associés à l’Armée syrienne libre qui s’opposent à l’autonomie et, en troisième lieu, par le gouvernement turc. Ce dernier, particulièrement hostile à la nouvelle situation, n’a pas hésité à soutenir logistiquement les djihadistes d’Al Nusra et le Front arabe de libération d’Hasaka pour qu’ils divisent le Kurdistan syrien en deux en lançant une forte offensive sur Sere Kaniye, où les combats durent depuis trois mois.


Source : http://www.cuartopoder.es/terramedia/la-autonomia-kurda-en-siria-toma-forma-pese-al-rechazo-de-gobierno-y-oposicion/4644

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Traduction française pour Avanti4.be : Ataulfo Riera

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Publié dans Kurdes

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