Les partis traditionnels de gauche ont-ils trahi la révolution dans le monde arabe? (avanti.be)

Publié le par revolution arabe

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Dans le monde arabe, les partis traditionnels de gauche ont été aussi surpris que les régimes dictatoriaux par les soulèvements populaires qui ont commencé à la fin de 2010 et qui ont balayé la région depuis lors.

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Ironiquement, la plupart des partis de gauche ont été pris au dépourvu par ce qui est devenu un mouvement révolutionnaire important dans l’histoire moderne du monde.

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Les révolutions arabes ont forcé la gauche à redéfinir son identité et ses priorités. Les questions de libération sociale et politique sont devenus choses urgentes à travers la région. Les révolutions égyptiennes et syriennes, en particulier, ont joué un rôle important en élargissant la fracture entre les groupes traditionnels de gauche tout en ouvrant la voie à l’émergence d’une nouvelle génération de militants.

Le dilemme de la gauche traditionnelle

Les partis de gauche, les mouvements ouvriers et les syndicats dans le monde arabe ont géné- ralement suivi l’une de ces deux trajectoires : soit capituler face à l’Etat et finir par s’intégrer complètement dans son appareil ou bien faire face à une répression sévère et être bannis de la vie politique. Ainsi, les partis communistes égyptien et syrien ont été interdits tant par le dirigeant égyptien Gamal Abdel Nasser que par le régime Baas syrien au cours des années d’unification entre les deux pays (entre 1958 et 1971 - NdT) jusqu’à ce qu’ils acceptent de s’aligner complètement sur ces régimes.

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En Syrie, le Parti Communiste n’a été autorisé à fonctionner qu’après avoir accepté de faire partie du Front National Progressiste créé en 1972 par Hafez al-Assad, au nom du pluralisme mais dans le but évident de réprimer toute activité politique. Cette étape a accentué une division ancienne au sein du Parti Communiste syrien, les membres les plus radicaux scissionnant pour former le « Parti Communiste syrien (Bureau politique) », dirigé par Riad al-Turk. Ce groupe d’opposition a été violemment réprimé par le régime d’Assad qui a interdit cette organisation et jeté Turk en prison en 1980 pour 18 ans.

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En conséquence, les régimes soi-disant « progressistes », « socialistes » et « nationalistes » du monde arabe depuis les années 1950, ont activement tué toute perspective sérieuse d’émergence d’un mouvement radical de la classe ouvrière ou de gauche en utilisant tant la cooptation que la répression.

La gauche face aux soulèvements populaires

En 2011, les soulèvements arabes ont explosé et se sont étendus pour une combinaison de raisons tenant tant à des racines socio-économiques profondes qu’à la répression politique imposée par des régimes brutaux. A la veille des soulèvements, les indicateurs socio-économiques du monde arabe étaient alarmants. En plus de subir une oppression politique par des régimes dictatoriaux, une grande partie de la population dans le monde arabe avait du mal à survivre.

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Les politiques néo-libérales qui avaient commencé avec Anouar al-Sadate en Egypte (au cours des années ’70 - NdT) et atteint la Syrie en 2000 après l’ascension de Bachar Al Assad au pouvoir ont été clairement bénéfiques pour la classe dirigeante et ceux qui l’entourent mais se sont faites au détriment de la grande majorité de la population qui a souffert de l’augmentation de l’inflation, de la hausse du coût de la vie, de la montée du taux de chômage (surtout chez les jeunes) et d’une extrême pauvreté. En Syrie, par exemple, le pourcentage de ceux qui vivent sous le seuil de pauvreté (1 dollar par jour) est passée de 11% en 2000 à 33% en 2010.

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Avec de tels indicateurs socio-économiques, on aurait pu s’attendre à ce que la gauche organise et mobilise la demande de justice sociale. Mais ce n’est pas ce qui s’est passé. Les soulèvements arabes ont explosé de façon très aléatoire et se sont propagés rapidement de manière transnationale en se moquant des vieux concepts de frontières nationales et de nationalisme et en apportant la preuve que les gens de différentes parties du monde arabe (et du monde entier avec des mouvements comme Occupy et les Indignés) pouvaient s’identifier les uns aux autres sur le terrain de la lutte contre l’oppression et les inégalités.

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Cependant, la question demeure : quel rôle la gauche a-t-elle joué dans ces soulèvements ?

La réponse varie profondément selon sur le niveau d’intégration de celle-ci dans les régimes avant 2010. À l’exception de la Tunisie, où l’Union Générale des Travailleurs a joué un rôle crucial dans la révolution, car elle a toujours été indépendante de l’Etat, la plupart des autres partis de gauche dans la région ont été marginalisés et n’ont en fait joué aucun rôle important dans les soulèvements.

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C’est ainsi, par exemple, que les Partis Communistes en Syrie (la tendance Bakdash) et au Liban se sont opposés aux soulèvements en affirmant qu’"il est très clair que ce qui s’est passé en Syrie l’a été en conformité avec les plans impérialistes". La gauche traditionnelle a été discréditée par les mouvements populaires dans les rues en raison de ses relations avec les anciens régimes.

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Cependant, de nouvelles formes de militantisme de gauche ont fait surface au cours des dernières années, tels que les Socialistes Révolutionnaires en Egypte, le Courant de la Gauche Révolutionnaire en Syrie et le Forum Socialiste au Liban. Bien que ces groupes soient encore relativement jeunes et n’aient pas assez d’influence politique ou de soutien populaire, leur compréhension des révolutions arabes et leur analyse de ses développements montrent une "maturité politique" attendue depuis longtemps dans la gauche arabe.

La gauche arabe aujourd’hui

Alors que les partis traditionnels de gauche adoptent la plupart du temps une approche stalinienne "du haut vers le bas" en se concentrant sur une approche de libération nationale, les nouveaux mouvements de gauche qui grandissent dans la région sont clairement influencés par une approche trotskyste qui croit en la puissance de mouvements de base populaires et au socialisme "par en bas".

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La principale différence entre ces courants au sein de la gauche arabe aujourd’hui, c’est que la gauche traditionnelle estime que la priorité doit être donnée à la libération nationale, tandis que les groupes de gauche plus récents considèrent que l’accent doit être mis sur la libération sociale puisqu’aucune indépendance réelle ne peut être atteinte au sein d’un système capitaliste et répressif.

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Contrairement aux partis traditionnels de gauche qui se concentrent principalement sur la géopolitique (en donnant leurs faveurs à l’Iran et à la Russie dans l’illusion que ces pays sont des forces anti-impérialistes) et les menaces impérialistes et sionistes externes, ces nouveaux mouvements de gauche donnent la priorité à l’activisme contre les inégalités internes et la répression sans perdre de vue le contexte plus large de la géopolitique et le fait qu’Israël est un occupant.

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En d’autres termes, l’approche trotskyste croit en la révolution permanente, qui combine à la fois la lutte de libération nationale et l’émancipation sociale et économique. Par exemple, alors que le Parti Communiste libanais estime que les événements en Syrie font partie d’une plus grande conspiration qui vise à renforcer la position d’Israël dans la région en essayant de renverser le régime d’Assad, le Forum Socialiste libanais voit ce qui se passe aujourd’hui en Syrie comme une révolution populaire héroïque contre un dictateur, révolution qui doit faire face à de nombreuses tentatives visant à la tuer comme la montée de mouvements réactionnaires tels que l’Etat islamique d’Irak et du Levant (ISIL) et la réaction violente du régime brutal d’Assad.

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En outre, les partis traditionnels de gauche s’en remettent à une analyse politique dichotomique par laquelle ils expriment leur besoin de de se joindre à un camp contre l’autre. De ce fait, ces partis ne sont plus que des suiveurs impotents qui n’ont pas de réel effet de levier au niveau politique ou populaire. Par contre, les nouveaux groupes de gauche ont adopté des analyses qui fonctionnent en dehors des dichotomies rigides et des approches réductionnistes.

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Par exemple, les Socialistes Révolutionnaires en Egypte sont à la fois contre l’ancien régime de Moubarak, contre l’armée (représenté par son chef Abdel Fattah al-Sisi) et contre les Frères musulmans. Une position similaire est adoptée par des groupes révolutionnaires de gauche en Syrie, qui sont radicalement à la fois contre le régime d’Assad et contre les forces réactionnaires tels que l’ISIL ou le Front Al Nusra.

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Enfin, s’il y a une chose que les organisations de gauche - tant les traditionnelles que les nouvelles - ont appris des soulèvements arabes, c’est que leur vision romantique de la révolution n’est pas adaptée à la situation. Car, si les révolutions sont puissantes et essentielles, les périodes révolutionnaires ne sont pas aussi roses et faciles que la gauche l’aurait souhaité.

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Les révolutions arabes doivent être comprises comme un processus à long terme de changement économique, social et politique profond qui va subir des hauts et des bas avant de pouvoir aboutir définitivement. Au cours de ce processus, de nombreux tabous sociaux seront brisés, la plupart des normes et des valeurs vont changer et de nombreux mouvements vont croître mais, en même temps, de nombreuses vies seront perdues, beaucoup de gens vont souffrir et des villes entières risquent d’être détruites lorsque des régimes brutaux tenteront d’effacer non seulement le présent, mais aussi le passé.

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Rima Majed 4 mars 2014 Rima Majed est un chercheur et un candidat au doctorat en sociologie politique à l’Université d’Oxford.
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Cet article a été publié le 17 février sur le site de la télévision Aljazeera http://www.aljazeera.com/indepth/op... avec la mention "Les vues exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale d’Al Jazeera" (On s’en doutait un peu - NdT)
Traduction française et intertitres pour Avanti : Jean Peltier

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• Les marées de la révolution en Egypte

• Démocratie et géopolitique

• Egypte : « Nous n’avons pas besoin de permission pour protester ! »

• Tunisie : djihadisme, putschisme et dialogue national

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http://www.avanti4.be/analyses/article/les-partis-traditionnels-de-gauche-ont-ils

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